Le Juge des libertés et de la détention de Toulouse vient de constater l’indignité des conditions de détention du Centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses ce vendredi 17 décembre 2021. Tirant les conséquences de ses observations, il a ordonné à l’administration d’y mettre fin.

Concernant les faits, un de mes clients doit partager depuis plusieurs mois sa cellule avec deux autres détenus, dont un dormant sur un matelas au sol, mais aussi avec de nombreux nuisibles se logeant sous sa couverture ou dans ses aliments (cafards, punaises et rats)… Effarés par de telles conditions de détention nous avons décidé de saisir le Juge des libertés d’un recours en indignité des conditions de privation de liberté.

Il s’agit d’une nouvelle procédure prévue aux articles 803-8 et R.249-17 et suivants du Code de procédure pénale, depuis la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’Homme le 30 janvier 2020 (CEDH, 30 janvier 2020 n°9671/15 « JMB & autres » ; pour violation de l’article 3 de la Convention EDH relatif au principe de dignité). Avant que n’intervienne le législateur, la Chambre criminelle de la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel avaient déjà confirmé l’importance de permettre à une personne détenue de saisir le juge judiciaire « gardien des libertés individuelles » de ses mauvaises conditions de privation de liberté de manière effective (Crim. 8 juillet 2020 n°20-81.739 et Cons. const. QPC, 2 octobre 2020 n°2020-858/859).

Concernant spécifiquement le Centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté avait quant à lui rendu un rapport édifiant au sein duquel il listait des recommandations en urgence le 13 juillet 2021. Le CGLPL a notamment identifié les problématiques suivantes :

  • Un taux de surpopulation carcérale dramatique de 186%,
  • Un espace personnel insuffisant de moins de 2m2 par personne (soit moins que les règles fixées en matière de chenils…),
  • La présence de nuisibles et une hygiène déplorable,
  • Un temps excessif passé en cellule de plus de 20h journalières,
  • Un climat de violences permanent et généralisé limitant les promenades (bagarres et coups de couteaux),
  • Des conditions d’accès aux soins dégradées (retards d’intervention des équipes médicales, elles-mêmes en sous-effectifs, absence de traitements adaptés), etc.

Malheureusement, force est de constater que ses recommandations n’ont pas encore été suivies six mois après en décembre 2021. Pourtant les droits fondamentaux s’appliquent également aux personnes privées de liberté (d’ailleurs souvent encore présumées innocentes et non définitivement condamnées, puisque les centres de détention « de passage » sont en pratique les moins adaptés). Sur le fond il doit être compris que les détenus ne demandent pas de conditions de prison « 4 étoiles », mais un minimum de dignité.

Quant au fonctionnement de cette nouvelle procédure, selon l’article 803-8 du Code de procédure pénale le requérant doit rapporter un commencement de preuve démontrant de manière « circonstanciée, personnelle et actuelle » que les conditions de détention ne respectent pas la dignité de la personne , pour que sa demande soit recevable. L’administration pénitentiaire doit ensuite supporter la charge de la preuve de l’absence d’indignité (cette inversion de la charge probatoire facilite la tâche au requérant, qui dispose en raison de sa situation de moins de moyens pour prouver ses allégations puisqu’il est privé de liberté).

A défaut de preuve de dignité, la requête sera considérée comme bien-fondée et des mesures pourront être ordonnées par le juge dans l’objectif de mettre fin aux conditions critiquées. Si malgré tout les mesures visées n’ont pas été prises, le détenu pourra être transféré dans un autre centre de détention, sa peine pourra être aménagée ou il pourra être remis en liberté.

Les articles R.249-17 et suivants du Code de procédure pénale fixent le détail de la procédure à suivre par le Juge des libertés ou par le Juge de l’application des peines (selon que la personne détenue est prévenue ou définitivement condamnée), dont les éléments suivants :

  • Mentions de la requête : La requête doit être présentée dans un écrit distinct à peine d’irrecevabilité et comporter la mention « Requête portant sur les conditions de détention (article 803-8 du code de procédure pénale ». La requête doit contenir un exposé circonstancié des conditions de détention que son auteur estime contraires à la dignité de la personne, préciser si le requérant demande à être entendu par le juge en présence le cas échéant de son avocat. Elle indique en outre si le requérant a saisi la juridiction administrative d’une demande relative à ses conditions de détention (même si tel est le cas en cours de procédure), avant d’être signée par le demandeur ou par son avocat.
  • Modalité de dépôt : La requête est déposée par déclaration au greffe du juge d’instruction si une information est en cours, auprès du secrétariat du procureur de la République si le tribunal correctionnel est saisi, ou auprès du secrétariat du procureur général si la chambre des appels correctionnels ou la cour d’assises est saisie, si un pourvoi en cassation est en cours ou en cas d’écrou extraditionnel. Dans le cas où le requérant a été définitivement condamné, est compétent le greffe du juge de l’application des peines. Facilité de saisine, une lettre recommandée est suffisante pour saisir la juridiction compétente, voire une déclaration auprès du chef de l’établissement pénitentiaire.
  • Délais de la procédure : Le juge saisi a ensuite dix jours pour statuer sur la recevabilité par ordonnance motivée et le cas échéant doit inviter le chef d’établissement à lui transmettre dans les trois ou dix jours à venir ses observations écrites et pièces répondant aux moyens d’indignité soulevés. Le juge se prononcera ensuite dans les dix jours de son ordonnance de recevabilité sur le bien-fondé de la requête, c’est-à-dire sur l’existence concrète de conditions indignes. Un délai allant de dix jours à un mois peut être octroyé à l’administration pour prendre les mesures correctives utiles et lui adresser un rapport d’information, avant de clore la procédure définitivement (transfert, aménagement de peine ou remise en liberté, sauf ordonnance motivée de l’article R.249-32 du CPP).
  • Moyens d’investigations du juge : Le juge peut vérifier les conditions de détention en se déplaçant sur les lieux, en ordonnant une expertise judiciaire, en requérant un huissier de justice pour procéder à toutes constatations utiles, en procédant à l’audition de codétenus, de personnels pénitentiaires ou du chef d’établissement ou en procédant à l’audition du requérant.
  • Délais d’appel : Si le juge rejette les demandes ou constate qu’il n’y a plus lieu de statuer (après qu’aient été prises des mesures correctives), le requérant dispose d’un délai de dix jours pour former appel devant le Président de la Chambre de l’instruction ou de la Chambre de l’application des peines. Un appel peut également être formé par le représentant du Ministère public.
  • Obligation de faire connaitre la procédure : le chef de l’établissement pénitentiaire doit prendre toutes les dispositions utiles pour informer les détenus de la possibilité de former un recours sur ce fondement.

Concernant le Centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses, après une condamnation par le Tribunal administratif de Toulouse le 4 octobre 2021, c’est donc au juge judiciaire toulousain de reconnaître l’insuffisance de l’espace de vie des détenus et la présence de cafards dans la cellule.

Dans le présent dossier l’administration pénitentiaire a désormais un mois à l’administration pour réagir, sans quoi le détenu concerné devra être transféré ou remis en liberté.

Ci-joint le jugement intégral rendu.

 

Toulouse, le 20 décembre 2021, David Nabet-Martin.

 






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