La Chambre sociale de la Cour de cassation clarifie les obligations des employeurs en matière de sécurité et de lutte contre les comportements sexistes en entreprise
Cour de cassation, Chambre sociale, 12 juin 2024, n° 23-14.292
Articles L. 4121-1, L. 4121-2, L. 1142-2-1 du Code du travail
Le 12 juin 2024, la Chambre sociale de la Cour de cassation a rendu un arrêt notable en cassant une décision de la Cour d’appel de Grenoble ayant annulé le licenciement pour faute grave d’un salarié du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).
Cet arrêt précise les obligations légales des employeurs en matière de lutte contre les agissements sexistes et de protection de la santé et sécurité des salariés au travail. Doivent être prises des mesures efficaces.
Faits et procédure
Un technicien supérieur employé par le CEA depuis 1993, disposant de vingt-trois années d’ancienneté, avait été mis à pied à titre conservatoire en octobre 2016 après avoir tenu des propos à connotation sexuelle, insultants et dégradants à l’encontre de deux collègues féminines les 2 et 3 juillet 2016, avant d’être finalement licencié. Des expressions vulgaires, injurieuses et dégradantes lui étaient reprochées, et qu’il avait d’ailleurs regrettés par la suite.
Le salarié décidait cependant de contester son licenciement devant le Conseil des prud’hommes, considérant ce motif comme excessif et comme étant un prétexte pour avoir refusé de témoigner au bénéfice de son employeur. Mais les premiers juges rejetaient ses demandes et son licenciement était confirmé.
L’arrêt de la Cour d’appel de Grenoble
De manière étonnante la Cour d’appel de Grenoble, dans son arrêt du 2 février 2023, réformait le premier jugement en estimant que le licenciement était disproportionné. Par ailleurs elle soulignait que l’employeur avait connaissance de comportements similaires par le passé, qualifiés par mails « d’humour franchouillard » ou de « second degrés », sans pour autant avoir pris de mesures disciplinaires et que ce laxisme s’opposait au licenciement.
Au soutien de sa motivation la Cour d’appel citait des déclarations caractérisant cette tolérance antérieure, mais aussi la prétendue absence dépassement de limites : « j’ai plutôt le souvenir de managers enclins à rigoler à ses blagues, et j’ose espérer que si l’une d’elle était vraiment limite, ils auraient immédiatement réagi en affirmant leur responsabilité de manager ». Avant de conclure : « Dès lors, alors que l’employeur envisageait initialement une mise à pied disciplinaire d’un mois lors de la séance du conseil conventionnel du CEA, le licenciement, sollicité par un représentant de la CGT, voté favorablement par le conseil conventionnel et notifié par le CEA le 11 octobre 2016, apparaît disproportionné en ce qu’aucune sanction antérieure n’avait été prononcée pour des faits similaires, alors que l’employeur en avait connaissance et qu’il avait, au demeurant, envisagé initialement une sanction moindre au titre des nouveaux faits, étant observé que le supérieur hiérarchique de M. [W] a indiqué avoir ‘sermonné » celui-ci à ce titre, sans alors avoir déclenché de procédure de disciplinaire ».
Par conséquent un arrêt paradoxal était rendu, la Cour d’appel considérant l’existence de fautes commises par le salarié, mais qu’une pratique laxiste de l’entreprise permettait de faire annuler le licenciement. Sans que l’on ne comprenne bien juridiquement comment une faute de l’employeur permette de justifier une faute du salarié…
La décision rendue par la Cour de cassation
C’est dans ce contexte que la Cour de cassation saisie du pourvoi formé par l’employeur, décidait de casser l’arrêt de la Cour d’appel, en rappelant les obligations légales incombant à l’employeur en vertu des articles L. 4121-1, L. 4121-2 et L. 1142-2-1 du Code du travail. Ces dispositions imposent à l’employeur de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir la sécurité des salariés et prévenir les agissements sexistes sur le lieu de travail.
Autrement dit la Cour de cassation jugeait que la Cour d’appel n’avait pas tiré les conséquences légales de ses observations, tandis que les propos répétés à connotation sexuelle, insultants et dégradants constituent une faute grave justifiant le licenciement.
Conclusion
Cet arrêt souligne qu’il n’est plus permis aux employeurs de laisser libre cours à une tolérance implicite face à des comportements sexistes ou dégradants, celle-ci ayant l’effet exactement inverse de l’objectif de protection, puisqu’elle permet leur réitération. L’employeur obtenait dès lors gain de cause puisque sa décision de licenciement était confirmée, ayant (semble-t-il enfin) réagi de manière adaptée en réaction à des comportements fautifs.
En somme les employeurs doivent agir fermement pour protéger la santé physique et mentale de leurs salariés, peu important les pratiques antérieures d’une entreprise. Cet argument du « précédent » n’ayant plus sa place en matière de comportements discriminatoires.
L’arrêt du 12 juin 2024 rappelle aux employeurs l’importance de leur responsabilité en matière de sécurité et de respect de la dignité des salariés. Ces derniers devant, à travers une politique disciplinaire claire, prévenir et sanctionner tout comportement de nature à porter atteinte à la santé mentale et physique des travailleurs, sous peine de voir leur décision contestée et annulée par les juridictions compétentes.