«L’absence de distribution systématique de masques aux salariés ne révèle pas, compte tenu des moyens dont dispose l’administration et des mesures qu’elle a déjà mises en œuvre, de carence grave et manifestement illégale » (CE, 18 avril 2020, req. n°440012, Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT, FTM-CGT).
Comme un retour aux origines, depuis quelques semaines le Conseil d’État assume au grand jour sa vocation de « garant de la politique du gouvernement » au détriment de la protection des droits des administrés.
Les juristes étaient certes habitués à observer ce déséquilibre à l’avantage de l’administration, mais celui-ci devient aujourd’hui insupportable considérant la gravité de la crise sanitaire et les conséquences qu’il emporte.
Depuis quelques semaines le Conseil d’État multiplie les rejets des référés-libertés qui lui sont présentés, au moyen d’arguments pour le moins critiquables.
L’arrêt rendu ce 18 avril 2020 n’est qu’un nouvel exemple d’une politique judiciaire refusant de constater la carence objective de l’État dans la protection des personnes, puis de le contraindre à mettre en œuvre de nouveaux moyens pour y parvenir.
Dans cette affaire la CGT demandait au Conseil d’État d’ordonner au Gouvernement de dresser la liste des entreprises de métallurgie « essentielles à la Nation » ne pouvant être fermées, et de prendre le cas échéant des mesures particulières de protection afin de protéger les salariés contraints de poursuivre leur activité professionnelle.
Cependant selon l’arrêt rendu l’activité économique de ces entreprises doit être poursuivie, sans exception, et aucune carence de l’État n’existerait car ce dernier aurait déjà pris des mesures utiles ou ne bénéficierait pas de moyens suffisants (concrètement de masques à fournir les métallurgistes).
Or de telles carences ne peuvent être écartées en éludant les décisions antérieures de l’État relatives à la gestion de ses stocks, qui expliquent justement la faiblesse sanctionnable de ses moyens actuels.
A l’inverse, l’existence de carences dépend de l’appréciation concrète des mesures prises par rapport au risque supporté, non de l’appréciation des moyens du responsable de la protection. Un tel raisonnement conduisant à faire disparaître l’éventualité même d’une responsabilité de l’administration !
De plus, la prétendue faiblesse des moyens de l’État est un argument moralement irrecevable (pour le moins dans un « Etat providence ») considérant sa puissance économique et le caractère impératif des décisions qu’il pourrait prendre. Comme celle de réquisitionner des entreprises françaises pour produire des masques depuis le mois de janvier 2020 date de l’annonce par l’OMS de l’urgence sanitaire.
Enfin, l’argument des prétendues « mesures antérieures » est tristement risible tant nous découvrons l’étendue des négligences du gouvernement.
Mais il est clair que pour ce dernier le port du masque n’est pas essentiel, comme la reprise de l’activité économique doit être privilégiée… avec le blanc-seing du Conseil d’État.
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Si cette nouvelle solution s’inscrit visiblement en faux contre nos principes fondamentaux, elle s’explique sans doute par la difficulté matérielle de réagir à la pandémie, voire par la réalisation de missions contradictoires par cette institution, à la fois conseil du gouvernement et juge de son action. Or il est par nature impossible de juger équitablement celui que l’on conseille.
La garantie d’une véritable indépendance est pourtant un préalable au prononcé d’une décision de justice, ne serait-ce qu’en termes d’apparence.
Mais pourquoi ne pas créer une véritable juridiction suprême administrative, au sens conventionnel et constitutionnel du terme, n’exerçant que des missions judiciaires ? Poids de l’histoire ou privilège politique ?
L’obligation de résultat en matière de santé physique et morale s’impose aux employeurs du secteur privé y compris en cas de réquisition.
Le reflex de tout demander à l’Etat est pervers dans certains cas. Cela conduit à une deresponsabilisation des individus et organisations
Quant au rôle du Conseil d’Etat, je l’examinerai à l’aune des missions de l’Etat qui normalement sert l’intérêt général voire « le bien commun. » il ne s’agit plus d’arbitrer un conflit entre 2 parties ordinaires…
Donc il faudrait s’assoir sur les principes fondamentaux de la justice en présence d’une juridiction suprême ? Art. L.111-1 du Code de justice administrative :
« Le Conseil d’Etat est la juridiction administrative suprême (…) ». Soit il y a une faute soit il n’y en a pas. J’imagine mal Thémis relever son bandeau pour dire qu’effectivement elle doit juger une partie « non-ordinaire ». Les dernières grandes avancées en matière de justice nous sont venues de la Cour européenne qui est justement en dehors de ce débat et peut objectivement se positionner en droit.